Moins vous êtes grand, plus vous devrez être fort

1 octobre 2019    |   de Annie Chouinard

Voyons les choses en face: pour les grimpeurs qui sont petits, la force compte plus. Vous devrez vous entraîner beaucoup plus que les personnes de grande taille, à moins bien entendu d’avoir la possibilité de voyager constamment à différents endroits afin de trouver des voies ou des blocs qui conviennent à vos forces et à votre grandeur.

Du haut de presque 5’1 ” et un indice apex neutre, j’ai très vite appris que la roche n’offre généralement pas l’égalité. La conquête récurrente d'intermédiaires pour me rendre à l’ancrage fait partie intégrale de mon parcours en escalade. Parfois, la façon dont je fais les voies ou les blocs est très différente de ce qu'une personne de grande taille ferait. Et honnêtement, ce que je fais est parfois plus difficile que ce que ferait une personne plus grande. Les petits grimpeurs doivent généralement  faire beaucoup plus de bloquage (lock-off ) pour atteindre des prises qui leurs sont loin, grimper dynamiquement plus souvent et utiliser des prises plus petites et/ou des intermédiaires.

Utilisation de prises intermédiaires dans God’s Own Stone (5.14a), Red River Gorge, KY. Photo par Gabriel Laliberté.

Peu de temps après avoir débuté l’escalade, j'ai rapidement compris que je devais me donner les moyens pour tenter de compenser pour ma grandeur. J'ai donc commencé à tâter l’entraînement spécifique, curieuse de voir si cela pourrait m’être bénéfique. Au fil du temps, j'ai réalisé que plus j'étais forte et puissante physiquement, moins mes bêtas alternatifs étaient difficiles, et ultimement plus je pouvais faire les bêtas de grands. L'escalade est un sport exigeant et lorsque nous sommes à l'extrême limite de nos capacités, passer à un autre niveau nécessite des efforts et un temps considérable.

e pousse mes limites au maximum en qualification au Championnat du Monde à Paris-Bercy, 2016. Photo par Shane Murdoch.

 

« Je suis trop petit »

Si vous n'êtes pas disposé à faire l'effort pour compenser pour votre grandeur et que vous trouvez constamment des excuses pour justifier votre incapacité en escalade, gardez à l'esprit qu'il existe d'autres sports qui pourraient mieux vous convenir et qui vous demanderait potentiellement moins d’entraînement. Malheureusement, la plupart d'entre eux ne sont pas aussi extraordinaire que l'escalade ... Repousser ses limites est un processus intimidant et trouver des excuses nous aide à rester dans notre zone de confort. Ceci dit, si vous voulez réussir, vous devez trouver un moyen de gérer vos excuses, de surmonter vos faiblesses et de vous améliorer.

Je ne vous cacherai pas qu’antérieurement, j’étais souvent frustrée que l’escalade semble beaucoup plus facile pour les plus grands. Regarder un gars de 5'9" ignorer des micro-prises et des pieds qui sont cruciaux pour ma séquence de petite personne sur une voie qu’il considère soft  alors que je ne l'enchaînais qu'après avoir tenu chaque intermédiaire médiocre et en faisant des highsteps à mes oreilles ne me remplissait pas de joie. À un certain point, je me suis sérieusement demandée: «Est-ce que je grimperais beaucoup plus fort si j'étais plus grande? Pourquoi ne puis-je pas vivre la même expérience en escalade comme le font la plupart des autres grimpeurs? »

Le dernier crux de Come On (5.14a) à Orford, QC, grimpé de façon créative. Photo par Gabriel Laliberté.

 

Changement d'attitude

Le moment où ma perspective des choses en escalade a changé a été lorsque j’ai rencontré Lynn Hill à l’été 2015 à Rifle au Colorado. Je me préparais à grimper Apocalypse (5.13c), une voie que je travaillais à ce moment là. Lynn s’est dirigée vers moi et m'a dit qu'elle aspirait depuis un moment à essayer de grimper cette voie flash. Elle se demandait si j'avais des bêtas de petits à partager pour certaines sections. Le moment où j'ai réalisé que je pouvais la regarder dans les yeux sans bouger significativement la tête a été révélateur. Cela signifiait qu'elle était à peu près ma grandeur. À 5’2 ” avec un indice apex négatif, Lynn Hill a accompli beaucoup plus que plusieurs grimpeurs dans sa vie, malgré sa petite taille. Ce jour-là, j’ai réalisé que mon attitude face à ma grandeur me nuisait. Je me faisais du mal parce que je me fâchais contre les ouvreurs, les grands grimpeurs et/ou contre moi-même, et ceci avait comme résultat de faire disparaître ma motivation d’essayer vraiment fort.

À partir de ce jour, j’ai commencé à accepter ma place comme petite personne dans le monde. J’ai commencé a abordé les mouvements longs comme des défis qui me rendraient plus forte, ou des énigmes que je devais résoudre avec des bêtas différents. Si vous pensez systématiquement que vous ne pouvez pas faire une grimpe parce que les mouvements sont trop longs, vous ne la ferez jamais. Ne vous méprenez pas: parfois, j'abandonne certain mouvement long et je passe à la prochaine grimpe. Mais en général, j’accepte le fait que je suis petite et que j’aurai à mettre plus d’énergie pour certains mouvements qu’une personne plus grande.

Gros mouvement pour atteindre la prise clé du crux de Strict Scrutiny (5.13d), Rumney, NH. Photo par Benoît Leblanc.

Aujourd’hui, au lieu d’aborder le problème de reach comme une punition injuste, je lui fais face avec une ouverture obstinée. Je vais essayer patiemment un mouvement de plusieurs manières, entêtée à trouver la solution qui me convient. Au fil du temps, je me suis rendu compte que je trouverais fort probablement un moyen de passer par le simple désir d’essayer sincèrement de résoudre le problème. Ceci est définitivement devenu l’une des plus grandes leçons de vie que j’ai pu tirer de l’escalade, une tirée de la roche et transférable au quotidien.

En préparation pour un autre mouvement long dans La Couleur du Vent (5.13b) à Céüse, en France. Photo par KappaPhotography.

 

Advantages vs Désavantages

Les personnes moins grandes ont parfois des avantages en escalade. Parfois.

J’ai placé des coincements de genoux dans la roche qui me permettaient de lâcher les mains à des endroits où mes amis plus grands ne pouvaient pas rentrer. En théorie, ma taille me permet de grimper plus facilement les dévers. J’entre bien dans certains dièdres. Il y a donc des avantages.

Ceci dit, Tom Randall et Ollie Torr de LatticeTraining.com ont récemment fait une étude reliée à la grandeur sur 500 grimpeurs et ils ont discuté de leurs découvertes lors d’une interview en podcast (en anglais). Leur conclusion est simple: Plus vous êtes grand, moins vous avez besoin d’être fort et en forme! Ils expliquent que cela est dû en partie à la force de lock-off  requise pour une personne de plus petite taille et en partie au nombre plus important de mouvements qu’elle devra effectuer pour couvrir la même distance qu’un grimpeur de grande taille.

Torr mentionne ce qui suit:

[..] il y a des preuves importantes à l'appui qui suggèrent qu'il y a une  différence de performance requise pour des grandeurs différentes, les plus grands grimpeurs présentant des avantages significatifs dans tous les domaines, à l'exception de la force des abdominaux.

Randall et Torr révèle une autre découverte intéressante dans le même podcast: les grimpeurs plus petits ont besoin de doigts plus forts pour la même cote.

Un grimpeur plus grand, à l'extrémité d'un spectre normal, nécessite nettement moins de force des doigts qu'une personne plus petite, quels que soient son niveau et son poids. Donc, s’ils sont tous les deux des grimpeurs de V8 par exemple, le plus grand grimpeur peut grimper V8 avec moins de force de doigt que celui qui a dix centimètres de moins que lui.

Ce que j'ai retenu de cette interview est simple: pour un grimpeur plus petit, la force compte plus. Je dois être plus en forme et plus forte en général, excepté pour la force des abdominaux. Mais bon, je l’entraîne aussi, au cas où!

Je m’étire le plus possible pour atteindre une prise dans Taxe Carbonique (5.13d) à Orford, QC. Photo de Gabriel Laliberté.

 

Comment compenser pour votre grandeur

Voici ci-dessous un aperçu de ce que j’entraîne principalement pour compenser pour ma grandeur. Ce sont les concepts sur lesquels je crois que les petits grimpeurs devraient se concentrer. Mon objectif ici n’est pas d’établir un programme d’entraînement, mais simplement de vous donner les grandes lignes de chacun ce ces concepts.

Depuis que j'ai commencé à m'entraîner sérieusement il y a quelques années, je mets l’emphase sur:

  • la force de lock-off
  • les mouvements dynamiques et la force de contact
  • la force de traction large
  • la force des doigts
  • les abdominaux

 

Force de lock-off

Pour atteindre ces prises éloignées, les petits grimpeurs doivent être capables de faire des lock-off  plus loin que les personnes de grande taille. Pouvoir tirer sur une prise le plus bas possible et y rester un moment est important et doit être entraîné. La force de lock-off peut être travaillée sur le campus board ou en faisant des tractions chargé par exemple. Cependant, le campus board est inutile si l’entraînement est nouveau pour vous, si vous débutez en escalade ou si cela vous fait mal. Si vous voulez vous y initiez graduellement, utiliser le campus board avec les pieds au début.

En préparation pour des tractions chargée. Photo par AT-images.

Grimper sur des voies et des blocs difficiles pour vous contribuera également à améliorer la force de lock-off. Il ne faut pas sous-estimer le renforcement sur le mur, alors assurez-vous de vous mettre régulièrement au défi dans des mouvements longs et difficiles.

 

Mouvement dynamique

Les plus petits grimpeurs ont besoin de grimper dynamiquement plus souvent que les grands, ce qui n’est pas surprenant. Un bon moyen d’'entraîner ceci est une fois de plus de s’exposer régulièrement à des mouvements longs et difficiles sur des voies ou des blocs. En ce qui me concerne, quand je réussis le mouvement, j'aime le refaire encore pour me permettre à chaque fois de mieux connaître et sentir mon corps.

Mon état d'esprit envers ces mouvements est définitivement la chose la plus importante que j'ai dû changer. J'avais généralement l'habitude de tenter d'éviter les mouvements dynamiques. Maintenant je leur fais face, et j'essaie de comprendre les changements subtils de position du corps qui pourraient m'aider à attraper avec précision ces prises éloignées. Je trouve que le Moonboard (ou n’importe quel system board) est un bon outil pour entraîner les mouvements dynamiques. Une fois de plus, le campus board est aussi vraiment intéressant pour entraîner les mouvements dynamiques. Je sens une différence significative dans mon escalade lorsque je travaille régulièrement dessus. Je deviens plus puissante, plus confiante et ma force de contact s'améliore.

Exercice sur le campus board. Photo par AT-images.

 

Force de traction large

Pour les petits grimpeurs, une bonne force de traction large est importante parce que nous travaillons plus souvent a notre étendue maximale que les grimpeurs de grande taille. Gardez en tête que les gens sont naturellement beaucoup plus forts lorsque leurs coudes sont pliés. Par conséquent, s'entraîner avec les bras grands ouverts est définitivement pertinent. Cela vous permettra d'engager vos épaules et de bouger d’une prise même lorsque vous êtes allongé à un point tel que votre visage touche le mur. Les anneaux de gymnastique aident à entraîner la force de traction large (par exemple, faire des flys est vraiment utile), mais vous pouvez aussi faire des tractions larges chargé et de nombreux autres exercices.

 

Les doigts

Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, il est important d’avoir une routine de hangboard pour entraîner les doigts. Je planifie toujours mes séances de hangboard les mêmes jours que mes séances d’escalade, avant ou après, dans le but d’avoir des jours de repos complet.

Suspension sur le Transgression board. Photo par AT-images.

 

Abdominaux

La force des abdominaux permet entre autre de maintenir la tension lorsque vous sautez pour des gros mouvements et attraper la prise, mais aussi de vous tenir près du mur en général. Il existe de nombreuses façons d’entraîner les abdominaux, mais je préfère le TRX ou les anneaux et les exercices sur la barre plutôt que les exercices sur le dos, simplement parce qu’ils ressemblent plus à ce que nous faisons sur un mur d’escalade.

Travail des abdominaux à la barre... au cas où! Photo par AT-images.

 

Conclusion

La beauté de l'escalade, quelle que soit notre grandeur, est que nous le faisons tous différemment. C’est dans la différence que nous arrivons à nous exprimer, à exprimer notre unicité, et à connaître où se trouvent nos limites.

Je suis petite et j'apprends encore à le gérer, même après plusieurs années d'escalade. Parfois, ça ne fais pas mon bonheur, et ça m’irrite encore. Mais au final, si vous voulez vraiment quelque chose, vous devez être prêt à y mettre le travail pour arriver à faire face au défi. Au final, la vie en général ne consiste-t-elle pas à résoudre des problèmes et à surmonter des défis?

C’est un sentiment assez unique de réussir un mouvement long qui vous semblait initialement impossible à faire. Vous pouvez faire tout ce qui est en votre pouvoir pour rendre ces mouvements possibles en entraînant la force de lock-off, les mouvements dynamiques, la force de traction large, la force des doigts et les abdominaux. Le reste est une question de choix, et surtout, de volonté.

Sha Sha (5.14a) à Orford, QC, une voie qu’initialement je ne croyais pas pouvoir faire à cause de ma grandeur ... Entêtement et dévouement se cachent derrière l’enchaînement de cette dernière!